samedi 14 mai 2005

LE FIL À LA PATTE - L'intellectuel sans domicile fixe - 4e partie : Le privé et le personnel au cinéma

ENTREPRISE PRIVÉE ET LIBERTÉ PERSONNELLE
Si la télévision publique sera l'un des plus grands succès d'indépendance culturelle de la société québécoise, le succès public du cinéma via l'ONF sera malheureusement moins convaincant. L'institution prend d'abord du gallon pendant la Deuxième Guerre mondiale. Au fil des années qui suivront, elle développe une expertise unique dans ses champs de prédilection, l'animation et le documentaire, cela sans bouder tout à fait la fiction. Les intellectuels organiques de l'État profitent du vent de liberté qui souffle dans un État qui se développe, s'ouvre, se modernise. Mais à l'ONF comme à Radio-Canada, des tensions existent entre direction et réalisateurs politisés, critiques. Certaines tensions sont le fait de la question linguistique et du nationalisme québécois : elles mèneront à la création de la section française. D'autres sont de l'ordre de la censure dans la critique du capitalisme : On est au coton de Denys Arcand et Normétal de Gilles Grouxl par exemple. Mais en dépit des vingt-cinq années de production souvent brillante des réalisateurs de la section documentaire de l'ONF, ces œuvres restent relativement boudées du public, et ce, malgré tout le talent de leurs créateurs. Ceux qui font notre grand cinéma documentaire, cinéma qui est toujours orphelin de public cependant, se mettent à loucher du côté de la fiction : notamment Marcel Carrière, Gilles Carle, Michel Brault et Denys Arcand.

1965-1970, c'est aussi l'époque où l'État se « retire des chambres à coucher », juste avant que n'y entrent les « reality shows » et les « web cams » que nous connaissons aujourd'hui. La liberté d'alors est d'abord privée et sexuelle. L'oppression, elle, est fédérale après avoir été catholique: « Maîtres chez nous »; Octobre 70.

Comme on considère que dans l'État fédéral il n'y a pas de liberté, c'est dans le « privé », terme qui évoque aussi l'intimité fami-liale des équipes de production d'alors, que se présentera la voie magique devant sensément permettre la conciliation ultime : celle d'un désir de libre expression personnelle, ainsi que celle de la dimension sociale et nationale de libération.

Mais le projet national va stagner. Et les nouvelles de la Gauche, émanant du front Est, sont mauvaises. Il ne reste alors que l'occupation du terrain intime, l'initiation en somme d'un mouvement de repli sur soi. Tout Arcand, du Confort et l'indifférence jusqu'à son travail actuel est contenu dans ce repli.Un petit passage au privé, qui, pour innocent qu'il semblait de prime abord, simple déplacement des moyens de la lutte sur un autre territoire, sera ni plus ni moins qu'un sauf-conduit donné par les intellectuels idéalistes au relais, dans la société civile, de la pensée néo-libérale, émergeant des intérêts des puissants . Ce qui se passe est donc absolument capital. On met de côté les considérations de bien commun. Un lien entre liberté privé individuelle et liberté marchande est tracé, selon la logique néo-libérale. Il y a là, précisément là, le début de ce qui sera un changement complet de paradigme pour l'ensemble d'une société.

Pourtant, de ce lien improbable, qui rappelle la liberté des prostitués, on tirera ce qui est à ce jour, le fonds de commerce des intellectuels organiques liés aux lobbies d'affaires. L'impossible idée d'une liberté totale agit comme un chant de sirènes. Et c'est pourquoi, en 1967, on écoute, à Ottawa, quand on parle de cinéma privé. Il faut aussi dire que ces joyeux entrepreneurs ont devant les perspectives d'affaires qui s'ouvrent avec l'aide du fédéral, un enthousiasme qui fait oublier les mathématiques aux ministres. La SDICC, qui deviendra Téléfilm, est, selon leurs calculs, sensée, grâce à son unique fonds initial de 11 millions, suffire comme bougie d'allumage à ce qui sera une future industrie-du-cinéma-du-Canada-parfaitement-autonome-et-générant-des-profits. Dans l'euphorie du centenaire confédératif, Pearson ajoute même un troisième volet à la stratégie fédérale : l'investissement à perte dans la produc-tion commerciale.

Au début, les artisans du cinéma et de la télévision qui œuvrent dans ce « privé » tout neuf ne se plaignent pas. Relativement peu nombreux, jouissant d'une maîtrise acquise dans les sociétés d'États fédérales, ils se lancent courageusement dans un cinéma libéré des serres de l'État, fruit exotique qui ne poussera jamais, cependant, que dans l'ombre de ce dernier.

Rapidement, les privés ont l'idée de dévoiler la Québécoise – retrouvant ici le nu originel des premières vues animées. Les Québécois accourent. Après l'idylle initiale des années 1950, 1970 est le deuxième flirt avec le public.

Au Canada (anglais), pour la première fois, mais ce ne sera pas la dernière, on fait l'analyse que si les Canadiens boudent leur cinéma, c'est que la production est trop indigente. C'est alors que vient l'idée de financer la culture avec de l'argent d'impôt dont l'État s'est « privé ».

En 1970, s'établit le premier système de Crédit d'impôt Fédéral en cinéma – accessible aux particuliers – qui favorise la croissance d'un cinéma gentiment osé et largement « botché. » Cette politique encourage en fait l'établissement d'un petit groupe de roitelets gourmands. Mais le succès de ce que Variety appellera le « Maple Syrup Porn » est de courte durée (Valéry ; L'Initiation ; Les deux femmes en Or ; Sept fois… (Par Jour) ; La Pomme, la Queue et les Pépins ; Après-Ski…). Car pour les publics spécialisés, Deep Throat et consorts voleront rapidement la vedette, établissant la base industrielle de la pornographie hard made in USA.

En parallèle, l'État commence à retirer son financement aux institutions de la Couronne. Entre 1970 et 2000, Radio-Canada, sous l'assaut combiné des coupures de budget, et des demandes expresses du fédéral, va « externaliser » sa production télévisuelle, et commercialiser sa production interne, à la recherche de revenus publicitaires, cachant au mieux les « coûts cachés » en terme de contenu de cette « externalisation.» L'ONF aussi devra sabrer, à terme, pendant la même période, presque toute sa production. On fermera ses labos sous les pressions des industriels qui crient à la compétition déloyale. On coupera aussi, au final, tous les postes de réalisateurs permanents, en documentaire comme en animation. Des corrections apportées à une compétition déloyale qui ne mèneront personne au cinéma canadien.

Car, même au milieu des années 70, déjà nos films formule osé nous ennuient. Oubliant l'exemple de notre télé, on cherche des explications où il n'y en a pas : les moyens financiers, encore et encore ? la professionnalisation des équipes ? On rêve d'avoir un jour des moyens qui se rapprochent de ceux d'Hollywood, cela sans comprendre que faire le cinéma d'Hollywood en québécois, c'est comme doubler l'image après avoir, pendant des années, doublé la voix des comédiens. Que de vivre par la culture populaire de l'autre, c'est déjà perdre son Nord.

Le public, pour l'instant, rechigne : le cinéma du Québec est vu comme une série de faux films de fesse et de documentaires déprimants. Quelques cinéastes se demandent ce qu'on est en train de se faire comme culture d'aliénés. À l'ONF Gilles Grouxl, ancien de Radio-Canada, signe déjà en 1969 le brillant « Ou êtes-vous donc bande de câlisses ». Fiction, portrait critique d'un monde de compétition, du mercantilisme rampant et de l'américanisation de la culture, vu par le biais de la chanson .

Anne-Claire Poirier, quant à elle, fait en 1974, « Les Filles du Roy ». Elle y pose la question du rapport historique du Québec à la femme québécoise, depuis les Filles du Roy jusqu'aux films déshabillés.

Des questions qui restent d'actualité, et semble annoncer le mercantilisme généralisé des années "80.

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